Après le livre consacré à l’iconique Spider-Man et à son alter-ego civil Peter Parker, Third Editions propose un titre dédié cette fois au héros le plus important de la Distinguée Concurrence: l’inénarrable Batman. L’objectif est peu ou prou le même, à savoir détricoter l’histoire du Chevalier Noir de sa création à nos jours et d’analyser les étapes ayant amené Bruce Wayne à être ce qu’il est aujourd’hui.
Après le premier tome, plutôt ludique, consacré à Peter Parker, place donc au seul et unique Dark Knight pour ce second livre qui décortique une légende vieille de 80 ans. L’ambition est la même, à savoir analyser le héros et sa contrepartie civile, leur évolution au fil des âges et leurs contradictions. Le ton y est moins léger, plus académique dans la recherche de la formulation juste. A l’instar de la progression du volume dédié à Spidey, Siegfried Würtz colle à la trame scénaristique « principale » (sans mettre de côté les continuités parallèles qui apparaîtront car elles ont apporté leur pierre à l’édifice) pour analyser la progression psychologique – et parfois physique – de Batman.
On y découvre donc un héros originel au caractère diamétralement opposé à ce qu’il est devenu aujourd’hui, même si certains traits perdurent évidemment. A sa création, pas de code moral lui interdisant de tuer par exemple. A l’opposé de Spider-Man, qui a ponctuellement intégré des événements issus de notre actualité (il ne combat pas durant la seconde guerre mondiale, pas de référence au 11/09 par exemple), Batman n’est pas vraiment incorporé à son époque. L’ouvrage nous fait comprendre qu’il vit bien dans un univers décorrélé du nôtre, tout en faisant au mieux pour s’y rattacher afin de rendre son cadre crédible. La force de la première partie de Qui est le Chevalier Noir ? est d’asseoir précisément ces éléments structurants qui seront les bases des démonstrations et analyses à venir.
C’est surtout l’occasion d’apprendre (ou confirmer) que Bob Kane a créé Batman sur de multiples influences plus ou moins évidentes et assumées, avec Bill Fincher (qui n’a pas été crédité pendant très longtemps) et qu’il n’était pas réticent à décalquer des dessins d’autres pulps pour créer des poses et silhouettes de ses héros. La liste des références est vraiment intéressante à parcourir, bravo pour ce gros travail de recherche qui concentre ces informations et en ressort digeste. C’est l’avantage d’avoir choisi d’attaquer Batman comme un sujet de recherche académique : le propos est gonflé de références et de précisions qui peuvent échappent au lecteur, même assidu. C’est aussi ce qui complique parfois la lecture, avec un vocabulaire un peu ampoulé et des démonstrations trop directives. Ce style universitaire (ne pas le prendre au sens péjoratif) est démonstratif mais impose un contenu dense qu’il faut lire doucement pour en retirer le maximum.
Les chapitres suivants gardent le cap et déconstruisent les arcs références tout comme les moins connus avec le même souci de précision. Très attendu, le chapitre centré sur le passage de Frank Miller est passionnant, pour moi le pivot principal de la bascule définitive de Batou comme le héros taciturne et obsédé que l’on considère comme canon aujourd’hui. Ces quelques productions sont décortiquées et analysées en profondeur, le rapide aparté sur les autres productions visiblement inspirées de Batman est riche d’enseignements sur les pistes que Bruce Wayne aurait pu arpenter. Les aspects vus comme « fascistes » par nombre de lecteurs du caped crusader sous la plume de Miller sont aussi remis dans un contexte et expliqués entre autre par l’auteur lui-même. Ceci dit, je trouve dommage que le petit passage sur Holy Terror (autre production de Miller dont le héros est un chevalier noir qui ne dit pas son nom) semble avoir vocation à défendre l’auteur de cette histoire haineuse, et d’oublier un petit peu que c’est probablement le comic-book qui incarne le plus certaines idées extrêmes, permettant à tous ses détracteurs de confirmer ses idées fascistes et réactionnaires.
Lors des derniers chapitres, le même prisme est utilisé pour défendre les deux films honnis de Joel Schumacher, à savoir Batman Forever puis Batman et Robin. S’il est crucial de remettre un peu d’ordre et d’appuyer sur certaines qualités des films, ils ne sont pas décriés sans raison. Ils auraient mérité qu’on s’attarde autant sur leurs défauts que sur leur réhabilitation. Ceci peut s’appliquer également au passage consacré à Batman v Superman. Pour autant, le soin apporté au détail de la liste exhaustive de toutes les œuvres créées autour du vigilante le plus célèbre au monde et de leurs impacts sur l’univers comics du héros est remarquable. A noter, le livre est sorti avant le film Joker mais fait un superbe parallèle – involontaire – avec le film de Todd Philipps.
Ce long travail d’analyse permet vraiment de faire ressortir les traits de caractères principaux du petit Bruce et sa mutation vers un héros plus physique mais moins létal. Au contraire de Peter Parker, qui a vu certains des arcs scénaristiques bouleverser complètement sa situation, aucun réel changement d’envergure n’est venu distraire Batman. Certes, la Bat-Family a évolué, un Robin est mort, mais Bruce reste Bruce et n’évolue que très peu personnellement (là ou son pendant masqué agrandit son univers de justiciers régulièrement). Les enjeux sont au final moins porté sur le civil – parfois mis totalement de côté – pour privilégier le héros. C’est d’ailleurs à mon sens tout l’intérêt du coffret : quitte à découvrir l’un des deux voltigeurs, autant en profiter pour découvrir l’autre tant ils sont opposés. Si vous voulez vous faire votre avis, ça se passe sur le site de Third Editions.
Pour conclure, je ne peux que vous recommander chaudement cette plongée du haut de la tour Wayne. C’est complet et précis, malgré une forme parfois trop académique et un petit côté parti-pris sur certaines démonstrations. Comme pour son compère araignée, j’ai maintenant envie de relire tous mes comics Batman avec cette vision plus complète, moins superficielle, dont on profite avec ce type d’ouvrage. Pour être honnête, j’ai même déjà racheté (et lu) The Killing Joke, comme quoi ça motive vraiment.
Avis réalisé grâce à l’envoi gracieux des livres par Third Editions et Reset PR, encore merci